Régis Sauder : « Je revendique le côté politique de J’ai aimé vivre là »

Le réalisateur de Retour à Forbach signe un documentaire passionnant sur la ville nouvelle de Cergy, en étroite collaboration avec l’écrivaine Annie Ernaux. Rencontre.

Avec J’ai aimé vivre là, vous signez un portrait de la ville de Cergy, créée voilà un peu plus de 50 ans, en allant à la rencontre de ses habitants mais aussi et surtout en vous appuyant sur des textes d’Annie Ernaux qui y vit. Comment l’avez- vous connue ?

Régis Sauder : J’avais appris qu’elle avait aimé Retour à Forbach, mon long métrage précédent et quand je suis allé le présenter au cinéma qu’elle fréquente régulièrement, Annie m’a proposé qu’on se rencontre et m’a fait visiter Cergy… Cette balade et nos échanges m’ont immédiatement donné envie de consacrer un film à cette ville en associant le plus possible Annie. Et notre dialogue ne s’est dès lors jamais interrompu.

Comment avez-vous construit ce documentaire ?

Sur une double temporalité : l’histoire des 50 ans de cette ville et celle d’un été que des jeunes lycéens qui y vivent y passent avant de la quitter après le Bac. Outre mes échanges avec Annie Ernaux, mes deux années d’écriture vont se nourrir d’un atelier que j’ai mené avec les lycéens du Lycée Galilée et de balades régulières dans la ville. Je crois longtemps que mes échanges avec Annie formeront le cœur du film avant, peu à peu, de les soustraire au récit au profit d’un dialogue entre ses œuvres – lues par elle mais aussi par des habitants de Cergy – et mes images.

Deux émotions dominent tout au long de J’ai aimé vivre là : la joie et la mélancolie…

J’ai aimé vivre là est un film de l’espace public, du dehors, de ce qu’on partage, où les gens se croisent, se touchent, s’embrassent. Cette idée de mettre l’amour au premier plan n’est pas là pour évacuer celle de la violence qui existe et transperce d’ailleurs régulièrement le film. Mais il y a chez moi ce désir de montrer qu’on peut montrer la banlieue autrement qu’en la stigmatisant et en ne l’associant qu’à la notion de misère. J’assume le côté politique de la démarche. Et la nostalgie dont vous parlez surgit ensuite naturellement du fait que je montre le temps qui passe. On y voit tous les souvenirs, toutes les traces qui se sont sédimentées, tous ces gens qui ne sont plus là, ces enfants qui partent. La nostalgie est là car la ville est habitée de ces souvenirs. Et le titre que j’ai choisi comprend cette idée. Un passé composé qui rejoint le présent. J’ai aimé vivre là… et aujourd’hui j’y suis encore et j’aime toujours y vivre.

J’ai aimé vivre là est un documentaire très mis en scène. Pourquoi ce choix ?

Pour une raison toute simple : J’ai aimé vivre là ne raconte pas tant la réalité de Cergy que le regard que je pose sur cette ville. Il a donc nécessité en amont beaucoup de recherche, beaucoup de préparation, beaucoup d’écriture pour parvenir à un découpage très précis. En parallèle, j’ai travaillé avec tous les jeunes qu’on voit à l’écran qui ont vraiment été des complices de mise en scène et de fiction au fil des mois que j’ai passés avec eux, dans un atelier. Avec la complicité de la chorégraphe Julie Desprairies, on a beaucoup travaillé sur les déplacements, l’inscription des corps dans l’architecture… Et pour tordre ainsi le réel dans un tournage léger, j’ai pu aussi m’appuyer sur Tom Harari, le directeur de la photo d’Onoda, et la beauté de ses images.

J’ai aimé vivre là s’est beaucoup réécrit au montage ?

C’est la première fois que je collabore avec Agnès Bruckert (Histoire d’un regard de Mariana Otero…) et j’ai adoré sa méthode qui consiste à commencer par respecter l’intuition de l’écriture avec à la clé un premier bout à bout, au terme duquel on se rend compte de ce qu’il produit. L’arc narratif était là. Et on a ensuite commencé tout le travail de réorganisation, en s’appuyant sur des lieux envisagés comme des rendez- vous dans le film dans lesquels les personnages allaient devoir se croiser. Ce montage a été très ludique.

 


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