La Fille inconnue, le joli film des frères Dardenne, sera diffusé ce soir sur Arte.
Dans La Fille inconnue, elle a l’air un peu renfrogné qui caractérise ses rôles habituels. Puis, son personnage de docteure renfermée s’ouvre peu à peu au monde à mesure que son enquête sur une jeune femme assassinée avance. Adèle Haenel joue merveilleusement cette Jenny, « coupable » de ne pas avoir ouvert son cabinet à la victime dont elle va tenter de réhabiliter la mémoire au prix d’un investissement personnel important. Un pur rôle dardennien. Nous avions rencontré l’actrice pour en discuter lors de la présentation du film à Cannes, en 2016. Flashback.
Notre critique de La Fille inconnue
Avant de travailler pour eux, pensiez-vous être Dardenno-compatible ?
A vrai dire, je ne pensais pas qu’on vivait dans le même monde (rires).
Mais c’est un cinéma qui vous parlait ?
C’est un cinéma qui m’a constituée en tant que spectatrice. Ca a peuplé mon imaginaire. Quand on pense film d’auteur, on pense Dardenne.
Comment êtes-vous entrés en contact ?
On s’est rencontrés lors d’une fête un peu officielle où nous avons échangé trois mots. Trois mois plus tard, ils me rappelaient.
Cette Jenny a-t-elle été facile à « trouver » ?
Pas vraiment. En lisant le scénario, je me disais qu’il fallait jouer un personnage le plus à l’os possible. J’avais envie d’en faire un minimum, d’être dans la retenue sachant que les Dardenne aiment observer comment la vie passe au travers des gens. C’est une force incontrôlable, la vie.
Les Dardenne racontent beaucoup leurs personnages par l’action. On voit beaucoup Jenny ausculter, diagnostiquer. Est-ce confortable pour un acteur ?
Je ne dirais pas confortable. Il faut quand même être précis pour être crédible. Du coup, ça peut devenir stressant.
Ces gestes, on imagine que vous les avez appris ?
J’ai répété pendant un mois avec un médecin. J’ai vu avec lui, grosso modo, où se trouvaient les organes de sorte à être consciente de ce que je faisais quand Jenny ausculte.
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Jenny est une sorte de confesseur. Elle a un parcours assez chrétien, pour simplifier. La voyez-vous comme ça ?
Je n’ai pas l’impression qu’elle va à la rencontre des gens pour se sauver elle-même. Elle est plutôt dans une quête. Le film ne dit pas non plus à la fin que les pêchés sont lavés.
Elle aimante tout de même le besoin chez les gens de se confier à elle ?
Elle croit qu’en chacun il y a une conscience qui sommeille. Ce n’est pas forcément dans un sens religieux.
Le don de soi, l’écoute, c’est chrétien dans l’esprit.
Ouais, ouais (elle soupire).
Le rôle semble marquer une étape dans votre carrière. Il est plus apaisé, plus rentré. Aviez-vous envie d’aller vers ça ?
L’énervement est en moi, mais il y a plusieurs façons d’être en colère. Ca peut être constructif, aussi. Cette évolution me plaît.
Des acteurs se disent habités par leurs rôles, d’autres passent à autre chose très vite. Où vous situez-vous ?
Les rôles correspondent à des problématiques qui s’immiscent dans nos vies et qui nous travaillent forcément un peu. Cet éveil de la conscience qui caractérise Jenny est quelque chose auquel je pensais déjà un peu et que le rôle a avivé.
Vous voulez dire que ce n’est pas un hasard si vous allez vers des rôles ou si les rôles viennent à vous ?
L’état dans lequel on est à un moment donné, notre disponibilité interfèrent sur le choix des rôles, c’est évident.
Quasiment la moitié de vos films ont été montrés à Cannes. Quelle relation entretenez-vous avec le festival ?
Je dirais que c’est plutôt les trois-quarts… Cette année, je vis ça de manière moins violente en me disant que venir à Cannes est aussi un jeu. J’accepte de tenir un rôle. C’est important qu’il y ait aussi du fantasme autour du cinéma. Tout ça n’est pas très rationnel.
Avez-vous été déçue qu’Orpheline d’Arnaud des Pallières ne soit pas retenu ?
J’ai vu le film la semaine dernière, que je trouve magnifique. J’étais déçue évidemment, mais l’important, c’est qu’il soit réussi.
De quoi s’agit-il ?
Ca raconte la vie d’une jeune femme sur quatre périodes, chaque période étant jouée par une actrice différente. C’est un film sur les rapports hommes-femmes, sur la violence, sur l’identité.
Entre Les Ogres, La fille Inconnue, Orpheline, c’est une grosse année.
J’ai vraiment eu de la chance, c’est vrai.
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