Laurent Lafitte – L’Origine du monde : « Pour un bon mot, je peux aller loin »

L’acteur passe pour la première fois derrière la caméra et signe une comédie grinçante et irrévérencieuse. Rencontre.

Peut-on encore rire de tout ? Cette question revient régulièrement dans le débat public, le plus souvent pour souligner que, tel Attila, là où le politiquement correct passe, le rire transgressif ne repousse jamais. Circulez, il n’y aurait plus rien à voir ou à entendre. Mais voilà que débarque le parfait contre-exemple de cette théorie. L’Origine du monde de Laurent Lafitte et son pitch le plus secoué et le plus politiquement incorrect de 2020. Un homme dont le cœur a cessé de battre et pourtant toujours en vie va voir une coach recommandée par sa femme pour qu’elle le soigne de ce mystérieux mal. Et cette dernière lui explique qu’elle a LA solution : son cœur pourra repartir le jour où il lui apportera une photo… du sexe de sa mère ! Mère à qui, pour corser le tout, il n’a pas parlé depuis dix ans… 

Lafitte adapte ici une pièce écrite et mise en scène par Sébastien Thiéry et passe à cette occasion pour la première fois derrière la caméra. Mais cette envie n’a pas surgi soudainement. « Vers 16 ans, je commence à aller beaucoup au cinéma. Et au-delà du pur plaisir de spectateur que j’y prends, j’ai ce désir de savoir comment tout cela est fabriqué, de connaître le pourquoi du com- ment de tel trucage, de tel mouvement de caméra. » En autodidacte. « J’aime les films de De Palma. Je me renseigne sur lui et je lis qu’il rend régulièrement hommage à Hitchcock. Alors je dévore les Hitchcock et je découvre que celui-ci a signé un livre d’entretiens avec Truffaut. Donc je me plonge dans les Truffaut et ainsi de suite… Toutes ces années, j’ai beaucoup rêvé avec les comédiens et leurs personnages. Des rêves d’enfant, des rêves d’aventures. Mais mon envie de faire du cinéma est venue par la réalisation. » 

Pour autant, Lafitte choisit comme porte d’entrée le métier de comédien. « Comme un prolongement de mes rêves d’enfant. À mes yeux, pour être Indiana Jones, il fallait au moins devenir Harrison Ford! Et puis, j’ai fini par me rendre compte que le comédien n’était pas le mieux placé pour vivre l’aventure. En tout cas bien moins que le réalisateur, pourtant a priori extérieur à l’action. Mais j’ai mis du temps à le comprendre car j’adore être acteur et parce que je ne me suis jamais senti frustré. » 

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Laurent Champoussin

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Laurent Champoussin

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Laurent Champoussin

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Laurent Champoussin

Laurent Lafitte, Karin Viard

Laurent Lafitte, Karin Viard

Laurent Lafitte, Karin Viard, Vincent Macaigne

Laurent Lafitte, Karin Viard, Vincent Macaigne

Karin Viard, Laurent Lafitte

Karin Viard, Laurent Lafitte

Laurent Lafitte, Vincent Macaigne

Laurent Lafitte, Vincent Macaigne

Geste fondateur 

Pourtant, son ascension sera plus longue et suivra des voies plus sinueuses que celles de ses potes de promotion de la classe libre du cours Florent, Guillaume Canet et Gilles Lellouche. Certes, il tourne des petits rôles ici et là (Belle-maman, Les Rivières pourpres…), mais cela s’apparente plus à des apparitions quand les deux autres commencent déjà à monter en gamme devant et derrière la caméra. Laurent Lafitte ne nie pas la frustration qu’il a pu ressentir. « Ça me paraît un sentiment naturel. Mais j’ai vite senti le danger d’une forme d’aigreur qui, elle, est forcément contre-productive. Alors, j’ai cherché à comprendre ce qu’elle racontait de moi. À savoir que mon ambition n’était pas quelque chose de vulgaire et qu’il fallait que je la conserve. Mais aussi que plus je me réjouissais de ce qui arrivait à mes potes, plus j’étais dans une énergie qui permettait que des choses m’arrivent aussi. J’ai refusé que cette frustration me desserve. » 

Alors, Laurent Lafitte va suivre son propre chemin. Celui du théâtre. Avec un apprentissage qui passe par une école de comédie musicale anglaise, la Guildford School of Acting, puis le Conservatoire. « Même si ça m’énerve, je dois avouer que j’ai besoin de cette espèce d’adoubement. Je suis heureux quand je suis “institutionnalisé”. Comme lorsque je suis entré à la Comédie-Française ou quand L’Origine du monde a décroché le label Cannes 2020. Ça m’indique que je suis à ma place. Tout le monde peut se prétendre comédien. Moi, je suis réconforté quand une institution me le dit. » 

Mais avant d’intégrer la Comédie-Française en 2012, et pouvoir ainsi travailler avec des metteurs en scène prestigieux, il y eut quatre ans plus tôt, toujours sur scène, un geste fondateur. Un one-man-show, Laurent Lafitte, comme son nom l’indique, produit par Dominique Farrugia. Comme une naissance au monde artistique avec un humour trash qui fait un sort aux chastes oreilles, peuplé d’une dizaine de personnages, dont un, culte, d’homo fleur bleue s’égarant dans un back-room pour s’adonner à un fist-fucking ! Bref, ce garçon en apparence si bien peigné et propre sur lui décoiffe. « C’était le spectacle d’un acteur frustré qui s’est offert une heure et demie de seul-en-scène, dit-il en souriant. J’avais 35 ans, je faisais ce métier depuis vingt ans, je m’étais confectionné un truc sur mesure et avant même que le show cartonne, j’étais heureux. » 


L'Origine du monde: irrésistiblement drôle, joyeusement malaisant [critique]

La décennie 2010 sera celle de sa montée en puissance, mais toujours à son rythme, sans saturer l’espace. Il y rencontre de gros succès publics en bande (Les Petits Mouchoirs et Nous finirons ensemble) ou en duo (Papa ou maman). Et il y fait des rencontres fortes qui vont continuer à le façonner en tant qu’acteur comme avec Marion Vernoux pour Les Beaux Jours, où il forme un couple troublant avec Fanny Ardant. « C’est la première à m’avoir donné au cinéma un rôle aussi sexué et éloigné de celui du propret rigolo qui pouvait être le mien. C’est un métier où tu n’as pas de réelles prises sur le désir que tu peux provoquer. » Mais il y aura aussi Jeanne Herry, Sébastien Marnier, Albert Dupontel, Vincent Mariette, Fabrice Gobert, Patricia Mazuy ou encore Paul Verhoeven avec Elle, « et un personnage ambigu qui, là encore, a aidé à déplacer l’image que certains avaient de moi. » 

Et puis arrive L’Origine du monde, où Lafitte peut exprimer pleinement un sens de l’humour tout sauf sage. « J’essaie pourtant de faire attention. Pour un bon mot, je peux aller loin. Ma grande peur est de blesser les gens. J’ai une bande d’amis avec lesquels on se vanne énormément et où plus ça va loin, plus ça nous fait rire. Donc j’ai pris ce pli-là et j’oublie parfois que cela peut se retourner contre moi. » Comme en mai 2016 où il ose une très bonne vanne se référant aux démêlés judiciaires de Woody Allen qui passerait comme une lettre à la poste aujourd’hui, mais qui le place alors sous le feu des critiques. Comme un crime de lèse-majesté. Autres temps, autres mœurs… « Mais je persiste à penser que lorsqu’on n’est pas dans la provocation et que l’intention est juste, on peut aller très loin. » 

Il passe de la théorie aux actes avec L’Origine du monde, un film où il ne marche pas sur des œufs, allant au contraire à fond dans un humour à la fois très anglo-saxon pour son côté nonsensique et très gaulois dans sa manière d’aborder les choses, sans basculer dans la vulgarité. Un humour qui cherche à créer de l’embarras et fait fi de ces traditionnels petits dialogues qui suivent une scène gonflée comme pour s’en excuser. On peut juste s’étonner que pour son premier long, il n’ait pas choisi de développer un récit original. Sa réponse est limpide. « J’avais écrit quelques sujets et développements. Mais quand j’ai découvert cette pièce de Sébastien [Thiéry] que je connais depuis le cours Florent, ce fut pour moi une évidence. Pourquoi m’embêter à chercher une autre histoire alors que celle-ci s’inscrivait pleinement dans mon style d’humour et ce que j’avais envie de raconter ? Je voyais tout de suite les aménagements que j’allais pouvoir faire pour la transposer au cinéma. Il n’était pas question d’en faire une simple captation améliorée, ça ne m’aurait pas intéressé. » 

Ligne de conduite 

Il y apporte donc quelques changements (le marabout africain qui réclame le fameux cliché est devenu une coach de vie, génialement interprétée par Nicole Garcia). Il y adjoint des scènes de fantasmes du personnage central qu’il campe (aux côtés de Karin Viard, Vincent Macaigne et Hélène Vincent, tous époustouflants), des scènes « qui correspondent aux visions cauchemardesques que cette pièce avait provoquées chez moi. » Et parmi les différents niveaux de lecture du texte original, il en privilégie un : « L’aspect psychanalytique sur la famille, car c’est l’endroit où la pièce m’avait le plus touché mais sans abîmer le nerf comique de ce texte né du cerveau fou de Sébastien. » D’emblée, Lafitte passe une sorte de pacte avec le spectateur : « Tout peut arriver et je ne dévierai jamais de ma route. » 

Tout en premier degré, la comédie naît de ces personnages vivant de la quête obsessionnelle de cette photo par son personnage principal. « J’adore chez Buñuel, Blier ou Dupieux quand on me fait confiance en tant que spectateur, quand on m’embarque dans quelque chose qui va me parler d’une certaine réalité du quotidien mais de manière différente. J’ai essayé de suivre cette ligne de conduite. » Pari réussi et qui ne restera pas sans lendemain. Mais en attendant, Laurent Laffite a surtout envie de retourner sur les plateaux de cinéma. « Ça me manque. Je n’ai volontairement pas tourné pendant un an pour pouvoir me consacrer pleinement aux six mois de montage et à la Comédie-Française. » La pièce de théâtre de Christophe Honoré, adaptée de Marcel, a malheureusement dû être abandonné en raison de la crise sanitaire. Mais le metteur en scène en a tiré un film, Guermantes, qui sortira au cinéma le 29 septembre prochain : 


Guermantes : la Comédie française en slip pour Christophe Honoré (bande-annonce)

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