On savait Laurent Lafitte drôle et singulier. On ne s'attendait cependant pas que son premier film soit aussi provocateur et surréaliste, comme du Buñuel sous cocaïne
Le public d’aujourd’hui est- il prêt pour Laurent Laffite ? On peut se poser la question tant l’univers du pensionnaire de la Comédie Française est dérangeant, choquant, impertinent, clivant, en un mot anticonformiste. La pensée unique, ce n’est pas son truc, lui qui s’inscrit dans un courant minoritaire en France, celui qui va d’Albert Dupontel à Quentin Dupieux. Le pitch de son premier long métrage (adapté de la pièce éponyme de Sébastien Thiéry) est aussi dingue qu’il y paraît. Jean- Louis, quadra marié à Valérie, qu’il n’est pas sûr d’aimer (et réciproquement), se rend compte que son coeur ne bat plus. Jean- Louis respire, court, vit pourtant. Son meilleur ami vétérinaire, Michel, ne comprend rien, pas plus que Valérie qui lui enjoint de rencontrer Margaux, son holistic live coach dont la sentence est sans appel: Jean- Louis doit lui apporter une photo du sexe de sa mère pour qu’elle le guérisse de son problème moteur. Or Jean- Louis ne parle plus à sa génitrice depuis des années. Sa quête risque d’être compliquée.
Dans Le Charme discret de la bourgeoisie, Luis Buñuel faisait vivre à six convives un repas qui se répétait sans jamais aller à son terme. Derrière la farce absurde se dessinait une parabole sur l’inconscient et ses méandres fantastico- cauchemardesques qui assignent l’homme à ses pulsions primaires. Dans L’Origine du monde, même topo (sauf l’unité de lieu: on passe ici d’un appartement ou d’un cabinet à un autre): Jean- Louis, avec l’aide de Valérie et Michel, va essayer à plusieurs reprises de réussir l’impossible. Comment demander simplement à sa mère de shooter son vagin ? Partant de ce postulat aussi débile que malaisant, Laurent Lafitte imagine une suite de scènes franchement hilarantes où le vaudeville le plus trash le dispute à une étude de caractères terriblement mordante: Jean- Louis est égoïste, manipulateur et cynique ; Valérie, une bobo éprise de théories farfelues sur la connaissance de soi; Michel, un être veule qui n’existe qu’à travers Jean- Louis; la mère, une femme évaporée à la morale douteuse et aux réparties cinglantes (« Je sais que Valérie est plus âgée que toi mais on n’a qu’une maman »). La confrontation de ces êtres psychologiquement bancals, de ces « monstres » à l’italienne, est la promesse tenue d’un théâtre de marionnettes cruel que Laffite s’amuse à pousser dans ses pires retranchements.
Fort de sa notoriété et de la haute estime, dans laquelle le tiennent ses pairs, Laurent Lafitte a réuni le meilleur casting possible pour cette comédie explosive qui risque de faire parler d’elle pour ses audaces et sa crudité. Un autre que lui aurait- il par exemple obtenu de Karin Viard une nudité incroyable ? L’actrice (qui joue Valérie), Vincent Macaigne (Michel), Hélène Vincent (la mère) et Nicole Garcia (le coach gourou) n’ont pas été aussi bien utilisés depuis longtemps certes dans des emplois qu’ils connaissent mais que Lafitte emmène ailleurs, vers quelque chose de moins stéréotypé, de réellement embarrassant. L’acteur- réalisateur s’est de son côté réservé le rôle le moins aimable, les scènes les plus casse- cou. Là où il y a de la gêne, il y a du plaisir semble-t-il vouloir dire à une France empêtrée dans des débats moraux et identitaires interminables. L’Origine du monde, sous ses dehors de comédie d’auteur existentielle décalée, minutieusement mise en scène, est une petite bombe à retardement qui ne demande qu’à vous péter à la gueule. Êtes- vous prêts pour Laurent Lafitte ?
De Laurent Lafitte. Avec Laurent Lafitte, Karin Viard, Hélène Vincent… Durée: 1h38. Sortie le 15 septembre 2021
,