Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
STILLWATER ★☆☆☆☆
De Tom McCarthy
L’essentiel
Oscarisé pour Spotlight, Tom McCarthy tourne à Marseille un tout petit thriller dramatique, sauvé par les partitions de Matt Damon et Camille Cottin
Bill Baker (Matt Damon), foreur de pétrole du fin fond de l’Oklahoma s’installe à Marseille pour tenter de faire innocenter sa fille (Abigail Breslin), emprisonnée pour un meurtre qu’elle nie avoir commis. Bloqué par la barrière de la langue, il demande de l’aide à Virginie (Camille Cottin) et sa jeune fille, avec qui il se lie d’amitié. Fabriqué sur des promesses jamais tenues, Stillwater avance constamment masqué, d’abord déguisé en film judiciaire, puis en thriller, avant de bifurquer vers le revenge movie l’espace de quelques instants… pour mieux faire un 180 degrés en direction de la romance et du drame familial. Un enchaînement de fausses pistes rarement heureux. Trop long et trop verbeux, Stillwater menace constamment de s’effondrer mais tient en équilibre sur Matt Damon – formidable dans un pur rôle de composition – et Camille Cottin.
François Léger
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PREMIÈRE A BEAUCOUP AIME
NOTTURNO ★★★★☆
De Gianfranco Rosi
Un film de lumière sur l’obscurité de la guerre. Voilà le pari que s’est fixé l’immense documentariste Gianfranco Rosi (Fuocoammare). Alors il est allé poser sa caméra le long des frontières de l’Irak, de la Syrie et du Liban, dont les habitants vivent depuis des années un enfer sans fin. Notturno raconte une journée ordinaire dans ces vies extra- ordinaires, détruites par Daech. La parole y est rare mais quand elle surgit, elle bouleverse : des mots d’enfants à qui on essaie de faire traduire par des dessins l’horreur vécue ou une mère qui écoute les messages vocaux de sa fille kidnappée par Daech. Rosi fascine par sa capacité à saisir ses moments sans jamais mettre le spectateur en position de voyeur. Et il impressionne par sa capacité à distiller du lyrisme dans cette tragédie sans nom, comme ce plan d’un cheval se tenant fièrement au milieu d’une rue. Son Notturno se vit comme un poème. Pari réussi donc.
Thierry Cheze
SANS SIGNE PARTICULIER ★★★★☆
De Fernanda Valadez
Genre à part entière, le film de frontière est surtout l’apanage des cinéastes américains qui en font, pour la plupart, leur cheval de bataille progressiste en portant un regard empathique, sinon moralisateur, sur le sujet. Pour son premier film, Fernanda Valadez propose le point de vue mexicain, et c’est forcément original : il ne s’agit plus de montrer l’oppresseur mais l’oppressé. Contrairement à ses homologues américains, Valadez ne s’attarde d’ailleurs quasiment pas sur le camp d’en face qui reste un hors champ fantasmatique. Elle se concentre plutôt sur les candidats à l’immigration et, plus spécialement encore, sur leurs proches qui vivent avec angoisse leur départ. Sans signe particulier suit ainsi la quête de Magdalena, une mère sans nouvelles de son fils depuis deux mois. En route vers la frontière, elle apprend que le bus qui le transportait a été attaqué par des pillards. Elle ne se résout pas pour autant au pire et rencontre un jeune homme qui fait le chemin inverse pour revoir les siens. Mélangeant l’exactitude documentaire répugnante (les sacs de cadavres, les charniers, l’impossibilité pour les familles d’identifier formellement les corps) et une forme d’errance surréaliste, Sans signe particulier emmène ses personnages et le spectateur aux confins de l’entendement. Que reste-t-il de notre humanité quand la barbarie est à nos portes, prête à nous engloutir ? Fernanda Valadez y répond magnifiquement par le dénouement le plus terrassant de l’année.
Christophe Narbonne
LE SOMMET DES DIEUX ★★★★☆
De Patrick Imbert
Fukamachi, photographe japonais, enquête sur Habu, une légende déchue de l’alpinisme nippon qui détient un appareil photo des années 20 renfermant peut-être le secret de la conquête de l’Everest. Mais Habu possède aussi son lot de sombres secrets… Adapter le foisonnant et passionnant manga alpin de Jirō Taniguchi en film était un sacré défi, aussi bien visuellement que narrativement : le réalisateur Patrick Imbert, connu pour s’adapter au trait des œuvres d’origine (Ernest et Célestine, Le Grand méchant renard), s’éloigne intelligemment du trait de l’auteur (et de la densité du récit) pour donner dans l’épure sobre. Une sorte de version ligne claire de la BD d’origine, qui recherche moins la sensation du vertige que celle de la tension pure. Et en fin de compte, c’est très impressionnant.
Sylvestre Picard
PREMIÈRE EST PARTAGE
TOUT S’EST BIEN PASSE ★★★★☆/ ★☆☆☆☆
De François Ozon
POUR
Disparue en 2017, Emmanuèle Bernheim avait co- signé le scénario de quatre films de François Ozon. Mais adapter ce récit intime consacré à la fin de vie de son père collectionneur après un AVC n’avait rien d’un long fleuve tranquille pour lui. Car en traitant du droit à mourir dans la dignité, le risque est grand de tomber dans le pur film à sujet. Tout s’est bien passé balaie cette inquiétude en osant accompagner la description clinique de la volonté de cet homme d’en finir avec l’existence avant d’être totalement diminué par une trivialité et un humour inattendus. Faisant dialoguer deux pans de son cinéma – la puissance émotionnelle d’un Sous le sable et l’aspect sale gosse d’un Sitcom – Ozon refuse toute prise d’otages émotionnelle et ose les sorties de route, les moments de gêne. La vie envahit ce récit et l’éloigne de toute tentation mortifère, avec un André Dussollier, épatant de démesure, emmenat le film à un endroit malaisant qui n’obéit précisément à aucune règle préétablie.
Thierry Cheze
CONTRE
Avec les sorties en rangs peu dispersés de Falling, The Father, en attendant Vortex, la fin de vie à le vent en poupe. Tout s’est bien passé nous rassure François Ozon, la mort tant désirée s’est faite sans douleur. Ce cinéma-là, indolore, plaqué, est facile à caser et ne supporte pas une relecture assidue puisque tout est dit et montrer sans jamais rien dissimuler. Une fois passé l’effet de surprise de voir un Dussollier en gros plan jouer les grabataires, qu’attendre sinon de déceler, ici et là, dans un œil qui frise une volonté vite réprimée de s’amuser avec nous ? On aimerait que tous ces films qui se ressemblent un peu tous, soient le simulacre de leur propre enterrement. C’est évidemment l’inverse. Ils font acte de résistance, s’accrochant aux grosses ficelles d’un académisme de tout temps plébiscité (Oscars, César…)
Thomas Baurez
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PREMIÈRE A AIME
JE M’APPELLE BAGDAD ★★★☆☆
De Caru Alves De Souza
Bagdad a 17 ans et partage son temps entre sa famille de sang (sa mère, ses sœurs) ou de cœur (les amis de sa mère, figures de la communauté LGBT fortes en gueule) et la bande de skaters dont elle est la seule fille. Avec ses cheveux courts, ce garçon manqué détonne dans cette société brésilienne à dominante virile, oppressante pour ceux qui refusent de se soumettre à ces codes ancestraux. Je m’appelle Bagdad traite donc de la question du genre mais sans se faire professoral. Il y a de la fantaisie à revendre dans ce récit initiatique entrecoupé de scènes dansées baroques pour laisser rêves et fantasmes égayer la rude réalité. Caru Alves de Souza n’élude rien de ce qui constitue le fondement de la culture patriarcale dominante mais elle retourne chaque situation pour célébrer un girl power où l’union fait la force. Le tout porté par l’énergie charismatique de la débutante Grace Orsato.
Thierry Cheze
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LA VOIX D’AÏDA ★★★☆☆
De Jasmila Žbanić
On avait découvert Jasmila Žbanić en 2006 avec Sarajevo, mon amour, où elle revenait sur les plaies mal refermées de la guerre en ex- Yougoslavie dans les années 90. Depuis, avec Le Choix de Luna, Les Femmes de Visegrad ou One day in Sarajevo, en croisant régulièrement le même sillon, elle n’avait jamais retrouvé la puissance de son premier geste… jusqu’à donc cette Voix d’Aïda. Son intrigue se déroule en 1995 à Srebrenica dont les habitants attendent avec angoisse l’arrivée imminente de l’armée serbe. Et son personnage central est une prof d’anglais bosniaque réquisitionnée comme interprète auprès des Casques bleus et qui, pressentant le pire arriver, va tout faire pour exfiltrer son mari et son fils à l’extérieur du camp, persuadée que son travail pour l’ONU lui vaudra des passe- droits. Mais rien ne sera évidemment aussi simple. La cinéaste revient ici sur l’un des crimes des guerres les plus atroces commis sur le sol européen depuis la seconde guerre mondiale : le massacre de plus de 8000 hommes bosniaques musulmans par l’armée serbe. Mais elle le fait avec un geste cinématographique fort et sous haute tension, à hauteur de cette femme dont les certitudes vont s’écrouler les unes après les autres. Une course contre la montre et contre la mort sans temps mort qui reflète avec une grande maîtrise – sans tomber dans la facilité de bégayer par des mouvements de caméra intempestifs – le chaos ambiant et dessine le portrait d’une madame- tout- le- monde se retrouvant à endosser malgré elle des habits de résistante qu’elle va faire siens dans un geste d’urgence instinctif.
Thierry Cheze
MA MERE EST UN GORILLE (ET ALORS ?) ★★★☆☆
De Linda Hamback
Adaptation d’un roman pour la jeunesse signé Frida Nilsson, ce film d’animation qui nous vient de Suède s’adresse aux plus petits, mais ne le prenez pas de haut : c’est une charmante découverte. Son dessin minimaliste convient parfaitement à cette petite histoire d’adoption d’une fillette par une gorille brocanteuse. Cette micro famille recomposée doit affronter toutes sortes de conventions, aussi bien économiques, culturelles que narratives. Ma mère est un gorille (et alors ?) raconte plus de choses intéressantes (et émouvantes) en 70 petites minutes que bien de grosses machines animées. Si on ne détestait pas autant cette expression, on dirait bien que c’est une bien belle leçon de vie -ou, au moins, de storytelling.
Sylvestre Picard
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PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
LA TROISIEME GUERRE ★★☆☆☆
De Giovanni Aloi
Qui sont ces silhouettes incongrues dans un pays censément en paix avec lui-même mais que des menaces cycliques (insurrection, terrorisme…) oblige à rester aux aguets ? Dans les gares, dans les métros, dans les lieux touristiques, des jeunes militaires – le visage souvent poupin et le Famas en bandoulière – se mélangent ainsi aux badauds. Le climat de peur que leur présence ne manque pas d’instaurer, Giovanni Aloi – jeune cinéaste italien dont c’est le premier long-métrage -, le renverse en se plaçant du point de vue de ces soldats, de l’un d’entre eux en particulier. Léo (Anthony Bajon), découvre un monde où la tension est permanente. En l’obligeant à rester sur le qui-vive, son réel se reconfigure en vaste champ de bataille. Si cette Troisième guerre parvient à capter une tension physique par la force de son incarnation, le scénario trop maladroit surligne et alourdit le propos.
Thomas Baurez
BIGGER THAN US ★★☆☆☆
De Flore Vasseur
Le mois dernier, le festival de Cannes créait une section éphémère « Le cinéma pour le climat ». Bigger than us est le premier des sélectionnés à débarquer en salles… mais aussi le premier long métrage de Flore Vasseur. Elle y suit les pas de Melati, une Indonésienne de 18 ans, engagée depuis sa prime enfance pour réparer un monde abîmé par les générations précédentes qui part à la rencontre d’autres tout jeunes femmes et hommes très actifs sur les sujets du climat, de la justice sociale, de l’accès à l’éducation… aux quatre coins du monde. A l’image de Demain, le documentaire de Mélanie Laurent et Cyril Dion, Bigger than us a la bonne idée de privilégier les solutions plutôt au banal constat d’une planète en souffrance. La curiosité, l’enthousiasme et l’énergie de Melati crèvent l’écran. Dommage que la forme soit ici sacrifiée au fond et que l’ensemble manque donc d’idées de cinéma.
Thierry Cheze
UNE FOIS QUE TU SAIS ★★☆☆☆
De Emmanuel Cappelin
Chef opérateur pour les projets cinéma de Yann Arthus-Bertrand (Human…) Emmanuel Cappelin signe ici son premier long-métrage, un documentaire co-réalisé avec Anne-Marie Sangla, également monteuse du film. Derrière son titre à priori léger fleurant bon la rom-com, se cache un constat édifiant sur le « déclin incontrôlé » de notre planète ravagée par une surproduction qui entraîne un dérèglement climatique irréversible. Peu réjouissant donc et quand on sait que l’une des théories vantées dans le présent film se nomme la collapsologie ou « politique de l’effondrement », on se pose peu ou prou, la même question qu’un des intervenants face à tant de sinistrose : « C’est bien beau tout ça, mais puisque tout est déjà foutu, comment trouver l’énergie collective pour se battre encore ? » C’est tout l’enjeu de ce documentaire que de démontrer qu’un combat se doit avant être avant un sursaut face à l’inéluctable.
Le film prend pour point de départ un rapport visionnaire écrit en 1972 par Dennis et Donella Meadows avec Jorgen Randers, Les limites de la croissance qui avait alors marqué le jeune Emmanuel Cappelin. Les auteurs y prophétisaient le chaos actuel et poussaient un cri d’alarme contre la superproduction et la surconsommation. En 2021, notre folie a converti les craintes du passé en réalité tangible et hypothéqué sérieusement notre futur sur Terre. Et si les intentions d’un tel film sont forcément bonnes et louables, le ton faussement intimiste du documentaire avec cette prépondérance d’une voix off lénifiante, altère un peu la force de persuasion de l’ensemble. Dommage car la force de certaines images (beauté paradoxale de cargos chargés de containers fendant les océans) se suffisait à elle-même et n’avait pas besoin de commentaires. Le réalisateur qui voulait à tout prix éviter de rajouter une pierre à l’édifice déjà bien garni de films alarmistes , donne l’impression d’être absorbé par son sujet et son envie de bien faire. Il n’empêche que le discours qui transparait de tout ça, invite à la réflexion et donc à l’action.
Thomas Baurez
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