Critique de 007 Spectre : James Bond régénéré ?

Pendant une heure, 007 Spectre est un James Bond parfait, avant de redescendre brutalement.

France 2 rediffusera ce dimanche 007 Spectre, quelques jours avant la sortie de sa suite, Mourir peut attendre, qui marquera les adieux de Daniel Craig à la saga (et dont vous pouvez lire notre critique ici). Pour patienter, voici celle du précédent opus, publiée dans Première  en 2015 ? 

James Bond est enfin de retour. Ecran noir pré-générique et le « gunbarrel » traditionnel d’ouverture (présent dans les 20 précédents films jusqu’à Casino Royale) apparaît, de retour au début du film pour la « première fois » depuis qu Craig a endossé le tuxedo. Le message est clair : le Bond régénéré, ce jouet entièrement démonté dans les trois films précédents, le reboot : c’est fini. Les spectateurs le réclament depuis maintenant 10 ans. Les producteurs accèdent enfin à la demande. 007 Spectre est d’abord une aventure « traditionnelle » de 007, mais redéfini pour les temps modernes.

ATTENTION CETTE CRITIQUE CONTIENT QUELQUES SPOILERS

S’ouvrant sur une plan séquence ininterrompu de plusieurs minutes, suivant Bond en mission non commandée au Mexique pendant la fête des morts, 007 Spectre pose pendant sa première heure son intrigue, ses promesses et ses enjeux. Daniel Craig, on ne sait par quel miracle, est plus beau, plus brillant, plus charismatique plus raffiné que dans Skyfall. Impeccablement habillé, il séduit, assassine, se bagarre, détruit, réajuste son costume après une chute de plusieurs étages, capturant enfin l’essence de l’élégance et l’humour british de notre agent préféré. Des qualités qui lui faisaient défaut depuis que le reboot le présentait comme un diamant brut à raffiner, depuis le « blunt instrument » de Casino Royale.


James Bond : tous les films classés du pire au meilleur

Voici donc enfin le Bond « abouti », que l’épilogue de Casino Royale (« My name is Bond, James Bond ») nous laissait espérer. Cela aura pris trois films au lieu d’un, mais de ce côté-là, on n’est pas déçu. Daniel Craig EST enfin James Bond ! Maintenant que M, Q et Moneypenny, les pions principaux de l’échiquier de la série sont également posés et surtout rafraîchis – acquérant au passage une dimension qu’ils n’avaient jamais eu à l’écran auparavant – le réalisateur Sam Mendes peut enfin faire vivre une aventure « classique » à 007. Pendant une heure, qui multiplie les clins d’oeil aux classiques de la saga, Spectre fonctionne à plein régime, et on y croit. Alors que la section 00 est menacée d’être supprimée au profit d’un programme de surveillance public Orwellien, une opération dirigée par le sinistre C (Andrew Scott génial), Bond remonte les strates d’une organisation terroriste (le fameux Spectre) qu’il va découvrir après avoir suivi des instructions posthumes laissée par l’ancien M (Judi Dench). Chien fou désobéissant aux ordres, n’en faisant qu’à sa tête, volant la DB10 promise à 009, en échange d’une bouteille de Bollinger et d’un bon mot, voilà Bond comme on l’aime. Et comme il n’avait jamais été sous l’ère Craig. Toute cette partie, se déroulant en Italie, est absolument Bondienne et Flemingienne, adéquatement mise en musique par Thomas Newman. L’agent double zéro, tue avec le sourire et le bon mot, séduit les femmes avec classe et indécence. Et progresse dans une intrigue parfaite. Après avoir couché avec Lucia (Monica Bellucci, pour une apparition de quelques plans tenant du caméo), Bond infiltre un meeting de Spectre rappelant furieusement celui du début d’Opération Tonnerre. Franz Oberhauser (Christoph Waltz), y apparait pour la première fois, et c’est sa meilleure performance dans tout le film. Froide, Kubrickienne, la scène, où l’on découvre que le Spectre contrôle tous les malheurs du monde depuis les coulisses, est glaçante. Elle culmine avec le visage de Oberhauser sortant de l’ombre, pour un « coucou ! » à la fois hilarant et effrayant, et lance une course-poursuite en Aston Martin qui est la meilleure scène d’action du film.


007 Spectre : Pierce Brosnan n'a pas aimé le film

Le reboot entamé avec Casino Royale culmine dans ce moment mélangeant poursuite, exposition « on the go », politique, retcon instantané des trois aventures précédentes, gadgets et humour, et finissant, comme il se doit, avec une pirouette et un bon mot. A ce moment donc, tout est bon. On se dit que la croisière est lancée, que le film va tenir ses promesses d’un Bond classique, mais modernisé pour le 21e siècle, et mener l’agent encore plus loin, et nous avec. Malheureusement, Mendes se met alors à relier des points entre eux pour former son intrigue, là où les ficelles étaient quasi-invisibles auparavant. La confrontation avec Mr White (Jesper Christensen, vu dans Casino Royale et Quantum Of Solace) inspirée de la nouvelle Octopussy, et l’arrivée de Madeleine Swann (Léa Seydoux), qui illumine l’écran, cassent quelque chose. Le film semble tout à coup dévier de sa trajectoire, sabordant au fur et à mesure les scènes et la caractérisation des personnages. Ainsi l’assassin Mr. Hinx (Dave Bautista) vient brutalement interrompre une scène de dialogue faisant écho à Casino Royale, ne laissant pas à Bond et Madeleine Swann le temps de rendre leur relation plus crédible, avant d’être honteusement expédié à son tour. Pourquoi prendre le temps de poser une telle menace, un tel méchant, pour le zapper à la moitié du film, alors que l’on rêvait de le voir affronter Bond dans le final ? On a du mal à comprendre. Les choses empirent avec l’arrivée de Bond et Swann dans le repaire de Orbehauser, qui multiplie les clin d’oeils à Dr. No mais sans jamais retrouver l’intelligence et l’esprit qui animaient la répartie entre Bond et son adversaire dans le film original. Waltz, qui n’est pas aidé par l’écriture, trouve ses limites en tant qu’acteur. C’est là où Spectre déraille et commet LE crime de lèse-majesté (continuant d’insister sur le côté personnel des missions de Bond de manière caricaturale).

On se croirait dans OSS 117 ou bien Austin Powers… Le film multiplie alors les rebondissements sans aucune surprise, où la caractérisation des personnages passe à la trappe au profit de scènes d’action sans saveur, ni inventivité, dans lesquelles on ne se sent jamais vraiment engagés. A sauver, un plan séquence de destruction de la base, avec Bond et Swann en avant plan, qui est sans doute l’un des plus beaux jamais conçus par Mendes. Le personnage de Andrew Scott, C, sur lequel de nombreux fans nourrissaient un fantasme de surprises cachées, est lâchement expédié, alors que l’acteur aurait, c’est certain, fait merveille en nemesis récurrente de 007. La confrontation finale entre Bond et Orbehauser ne connecte même pas avec la thématique anti Big Brother du film établie dans la relation entre M et C, et on reste, une fois de plus, en suspens sur les questions posées depuis Skyfall, à savoir l’importance du personnage rétrograde, mais libre, de Bond dans un monde moderne sans cesse plus politiquement correct et plus répressif. Reste l’épilogue, en forme de carte postale, qui résonne comme un adieu de Craig au personnage, comme si la boucle était bouclée, la mini-série terminée et que la place était laissée ouverte au successeur. Daniel Craig reviendra t-il ? A l’heure qu’il est, on ne le sait pas encore. Mais ce qui est certain, c’est que James Bond reviendra.

 

  



Cary Joji Fukunaga : « Casino Royale est la référence majeure de Mourir peut attendre »