Avec Caché, Michael Haneke interroge notre position de spectateur. Qui regarde qui ? [critique]

Arte consacre son dimanche soir au cinéaste autrichien.

Après avoir consacré un documentaire à Christoph Waltz, Arte proposera ce dimanche un sujet inédit dédié à son demi-frère Michael Haneke (ils ont tous les deux eu le même beau-père, le chef d’orchestre Alexander Steinbrecher, qui a d’abord épousé la mère de Haneke, Beatrix Degenschild, puis celle de Waltz, Élisabeth Urbancic). Avant de découvrir Code Haneke (déjà visible sur Arte.TV), la chaîne proposera son thriller Caché, porté par Daniel Auteuil et Juliette Binoche, en 2005.

Sans être le film le plus marquant de la carrière d’Haneke, Caché est tout de même assez intrigant pour tenir le spectateur en éveil. Daniel Auteuil y joue un époux lambda qui reçoit des cassettes vidéo le montrant, lui et sa famille, dans leur vie quotidienne. Qui l’observe ainsi depuis la rue ? Quel est le but de ce harcèlement ? Comment se débarrasser du vidéaste anonyme ?


Michael Haneke : « Si on fait du drame, il faut fâcher les gens »

A sa sortie, le film avait plu à Fluctuat (alors partenaire de Première), qui écrivait cette longue analyse : 

Récompensé, lors du dernier festival de Cannes, du prix de la mise en scène, Caché marque l’occasion pour le metteur en scène de retravailler, avec ses acteurs favoris, sur des thèmes qui le hantent : violence de l’image, pulsion scopique…
Jusqu’ici tout va bien. Georges et sa femme (Daniel Auteuil et Juliette Binoche) ont tout : argent, confort et amis qui vont avec, sans oublier la progéniture choyée. Présentateur d’une émission littéraire, lui occupe un poste prestigieux et exposé, intellectuel et médiatique… Sorte de Bernard Pivot, il s’offre régulièrement aux caméras télé. Tout va bien dans le meilleur des mondes possibles jusqu’au jour où une cassette vidéo va lui montrer qu’il peut être filmé à son insu. Pas tout à fait comme le font les caméras de surveillance placées dans l’univers de chaque grande ville, mais presque. Quelqu’un braque son appareil sur son univers tel un scientifique prend son microscope pour examiner une souris qu’il vient d’éventrer.

Là est la force de Haneke. Quelques séquences lui suffisent à poser les problèmes. Loin de se borner à des leçons théoriques, il nous plonge dans cette situation en la transformant en film à suspense. Qu’est-ce qu’une image ? Le premier plan brouille déjà notre vue tant il semble de prime abord évident. L’image vidéo est fixe et le spectateur, dans la salle de cinéma, s’attend à ce que l’histoire commence. Or il ne se passe rien, et ce vide fait évènement. On éprouve alors une sorte de face-à-face qui amène les questions en cascade. De qui sont ces images, où sommes nous et pourquoi les voit-on ? Plongé au coeur du cadre grâce une simple et judicieuse composition de l’image, le spectateur croit voir par le prisme d’une caméra vidéo. Il apprendra quelques secondes plus tard que ce qu’il pensait être un plan en caméra subjective, lui donnant la vision du filmeur, montre, en fait, ce que voit le filmé…

Conflit des origines
Caché commence à peine et nous voilà interrogés dans notre position de spectateur. Qui regarde qui ? Entre l’image tournée par le réalisateur démiurge et celle faite pour le plaisir du voyeur tout-puissant, de quel côté de l’écran est le pouvoir ? Dès ce premier choix esthétique, s’élabore l’histoire d’un homme confronté à la caméra d’un voyeur, ce qui nous renvoie à notre propre système d’images. Si dans Funny Games, le réalisateur nous mettait face à notre désir scopique en nous faisant éprouver les divers degrés de la violence, il prolonge son étude du regard sous le prisme cette fois de la vengeance et du sadisme qui l’accompagne. Comme s’il formait, au fur et à mesure de son travail, une troupe d’acteurs afin que ses films se répondent explicitement les uns aux autres, Haneke a une nouvelle fois choisi Juliette Binoche, Maurice Bénichou et Annie Girardot. D’ailleurs, on pense évidemment à Code Inconnu et à La Pianiste en voyant ce dernier opus, paradoxalement sélectionné par l’Autriche – le film est produit avec des fonds français même si Haneke est autrichien – pour la représenter et concourir à l’Oscar du meilleur film étranger.

Haneke continue également de mettre ses personnages face au conflit des origines. D’où vient-on ? Qui nous a fait naître ? Ici, il s’agit encore d’un roman familial déréglé pris dans les mailles du conflit algérien qui ressurgit, tant il hante de manière constitutive les personnages. Les conséquences des évènements réapparaissent d’autant plus fortement qu’elles étaient dissimulées dans l’inconscient tant collectif que personnel. Dès lors, comment se débarrasser de sa culpabilité si tant est qu’on puisse ? Caché s’empare aussi de cette question qui fâche et propose sa réponse, dont on découvrira l’ampleur à la toute fin du film…



Amour, huis clos mortifère mais vibrant de Michael Haneke